Suites homographiques: quels sont leurs secrets ? Comment les étudier ? Nous allons voir dans cet article comment trouver une suite auxiliaire qui pourra nous permettre de trouver son terme général.
Suites homographiques: définitions
Définition d’une suite homographique
Avant tout, il faut savoir qu’une fonction homographique est une fonction de la forme:$$f(x)=\frac{ax+b}{cx+d}\quad,\quad c\neq0.$$
La suite \((u_n)\) est dite homographique si elle est définie par:$$\begin{cases}u_0\\u_{n+1}=\frac{au_n+b}{cu_n+d}=f(u_n)\end{cases}$$
Polynôme caractéristique des suites homographiques
En supposant que \((u_n)\) converge, et en utilisant le théorème du point fixe, sa limite \(x\) vérifie l’équation:$$\begin{align}f(x)=x & \iff x(cx+d) = ax+b \\ cx^2 + (d-a)x – b = 0 \end{align}$$
On définit alors le polynôme caractéristique de la suite par le polynôme:$$P(x)=cx^2+(d-a)x – b.$$
Suites homographique: introduction d’une suite auxiliaire
Cas où le polynôme caractéristique admet deux racines réelles
Notons \(\alpha\) et \(\beta\) les deux racines du polynôme caractéristique, et considérons la suite \((v_n)\) définie pour tout entier naturel \(n\) par: $$v_n = \frac{u_n-\alpha}{u_n-\beta}.$$Alors:
$$\begin{aligned}v_{n+1} & = \frac{u_{n+1}-\alpha}{u_{n+1}-\beta} \\ & = \frac{\frac{au_n+b}{cu_n+d}-\frac{a\alpha+b}{c\alpha+d}}{\frac{au_n+b}{cu_n+d} – \frac{a\beta+b}{c\beta+d}}\text{ car }\alpha=f(\alpha)\text{ et }\beta=f(\beta) \\ & = \frac{ \frac{\left(au_n+b\right)\left(c\alpha+d\right)-\left(cu_n+d\right)(a\alpha+b)}{(cu_n+d)(c\alpha+d)}}{\frac{\left(au_n+b\right)(c\beta+d)-\left(cu_n+d\right)(a\beta+b)}{(cu_n+d)(c\beta+d)}} \\ & = \frac{\left(au_n+b\right)\left(c\alpha+d\right)-\left(cu_n+d\right)(a\alpha+b)}{(cu_n+d)(c\alpha+d)} \times \frac{(cu_n+d)(c\beta+d)}{\left(au_n+b\right)(c\beta+d)-\left(cu_n+d\right)(a\beta+b)} \\ & = \frac{ac\alpha u_n + adu_n + bc\alpha + bd – ac\alpha u_n – bcu_n – ad\alpha – bd}{ac\beta u_n + adu_n + bc\beta + bd – ac\beta u_n – bcu_n – ad\beta – bd} \times \frac{c\beta + d}{c\alpha + d} \\ & = \frac{\left(u_n – \alpha\right)(ad-bc)}{\left(u_n – \beta\right)(ad-bc)}\times\frac{c\beta+d}{c\alpha+d}\\ & = \frac{c\beta+d}{c\alpha+d}v_n.\end{aligned}$$
Le calcul est un peu fastidieux, mais on démontre ainsi que la suite \((v_n)\) est nécessairement géométrique de raison \(q=\frac{c\beta+d}{c\alpha+d}\).
Comment choisir l’ordre des racines? Que mettre à la place de \(\alpha\) et de \(\beta\)? Si on souhaite que \((u_n)\) converge alors il faut que \((v_n)\) converge aussi. Et comme \((v_n)\) est géométrique, elle ne peut converger que vers 0, donc il est nécessaire que |q|<1. Le choix de \(\alpha\) et \(\beta\) se fait donc sur le fait que \(\left|\frac{c\beta+d}{c\alpha+d}\right|<1\).
Par exemple, si pour tout entier naturel n:$$\begin{cases}u_0=1\\u_{n+1}=\frac{2u_n+1}{u_n+1}\end{cases}$$alors son polynôme caractéristique est:$$P(x)=x^2-x-1$$qui admet pour racines \(\varphi=\frac{1+\sqrt5}{2}\) et \(\overline{\varphi}=\frac{1-\sqrt5}{2}\). Comme \(c\varphi+d=\frac{3+\sqrt5}{2}\) et \(c\overline{\varphi}+d=\frac{3-\sqrt5}{2}<c\varphi+d\), on doit prendre \(\alpha=\varphi\) et \(\beta=\overline{\varphi}\) pour que |q|<1. Dans ce cas, \((u_n)\) converge vers \(\varphi\).
Cas où le polynôme caractéristique admet une unique racine réelle
Notons \(\alpha\) cette racine et posons pour tout entier naturel \(n\):$$w_n=\frac{1}{u_n-\alpha}.$$Alors,
$$\begin{align}w_{n+1} & = \frac{1}{u_{n+1}-\alpha} \\ & = \frac{1}{\tfrac{au_n+b}{cu_n+d}-\tfrac{a\alpha+b}{c\alpha+d}} \\ & = \frac{\left(cu_n+d\right)(c\alpha+d)}{\left(au_n+b\right)(c\alpha+d)-\left(cu_n+d\right)(a\alpha+b)} \\ & = \frac{(cu_n+d)(c\alpha+d)}{(u_n-\alpha)(ad-bc)}.\end{align}$$
Or, \(\alpha\) étant une racine double de P, ce dernier admet un discriminant nul. Donc :
$$\begin{align}(d-a)^2+4bc=0 & \iff ad-bc =ad-\frac{(d-a)^2}{4}\\& \iff ad-bc=\frac{(a+d)^2}{4}.\end{align}$$
De plus, comme \(\alpha\) est une racine double de P, on peut la calculer avec les formules vues en 1ère : $$ \alpha = \frac{a-d}{2c}.$$ On a alors : $$c\alpha+d=\frac{a+d}{2}.$$ Ainsi :
$$\begin{align}w_{n+1} & = \frac{cu_n+d}{u_n-\alpha}\times\frac{\tfrac{a+d}{2}}{\tfrac{(a+d)^2}{4}}\\& = \frac{cu_n+d}{u_n-\alpha}\times\frac{2}{a+d}\\& = \frac{2}{a+d}\times\frac{cu_n-c\alpha+c\alpha+d}{u_n-\alpha}\\& = \frac{2}{a+d}\times\left[c+\frac{c\alpha+d}{u_n-\alpha} \right]\\& = \frac{2c}{a+d}+2\frac{c\alpha+d}{a+d}\times\frac{1}{u_n-\alpha}\\& = \frac{2c}{a+d}+2\frac{c\alpha+d}{2(c\alpha+d)}\times\frac{1}{u_n-\alpha}\\& = \frac{2c}{a+d}+\frac{1}{u_n-a}\\w_{n+1} & = w_n+\frac{2c}{a+d}.\end{align}$$
Notons que \(a+d \neq 0\). En effet, \(c\alpha+d=\frac{a+d}{2}\) et comme \(\alpha\) existe, \(c\alpha+d\neq 0\). La suite \((w_n)\) est donc arithmétique de raison non nulle \(r=\frac{2c}{a+d}\).
\((w_n)\) étant arithmétique, sa limite est infinie et donc la limite de \((u_n)\) est nécessairement égale à \(\alpha\).
Par exemple, si pour tout entier naturel n, $$\begin{cases}u_0=1\\u_{n+1}=\frac{4u_n-1}{4u_n}\end{cases}$$le polynôme caractéristique de \((u_n)\)est:$$P(x)=(2x-1)^2$$ dont la seule racine réelle est \(\frac{1}{2}\). Ainsi, la suite \((u_n)\) converge vers \(\frac{1}{2}\).
Cas où le polynôme caractéristique d’admet aucune racine réelle
Là, on sort du champs réel pour passer au champs complexe. Dans ce cas, il admet deux racines complexes.
Ce que nous avons dit dans le premiers cas reste valable: on pose \(v_n=\frac{u_n-\alpha}{u_n-\beta}\) mais la suite devient alors une suite géométrique complexe.
On montre alors que pour tout entier naturel n, $$u_n=\frac{\beta q^n(u_0-\alpha)-\alpha(u_0-\beta)}{q^n(u_0-\alpha)-(u_0-\beta)}.$$
Par exemple, si pour tout entier naturel n,$$\begin{cases}u_0\\u_{n+1}=\frac{1}{1-u_n}\end{cases}$$alors son polynôme caractéristique est:$$P(x)=-x^2+x-1.$$Ses racines sont alors \(\alpha=\text{e}^{\text{i}\frac{\pi}{3}}\) et \(\beta=\text{e}^{-\text{i}\frac{\pi}{3}}\). On pose alors:$$v_n=\frac{u_n-\alpha}{u_n-\beta}.$$La suite \((v_n)\) est alors géométrique de raison \(q=\text{e}^{-2\text{i}\frac{\pi}{3}}\). On a alors \(v_0=\frac{1-\alpha}{1-\beta}\) et:$$u_n=\frac{ \beta(u_0-\alpha)q^n – \alpha(u_0-\beta)}{(u_0-\beta)q^n-(u_0-\beta)}.$$Le calcul des termes successifs donne avec \(u_0=\frac{1}{2}\): \(u_1=-1\), \(u_2=2\), \(u_3=\frac{1}{2}=u_0\). La suite est cyclique.
Les suites homographiques dont le polynôme caractéristique admet deux racines complexes sont cycliques. La preuve est assez simple à faire mais comme j’ai mis toute mon âme dans cet article, et que je suis épuisé, je laisse le soin au lecteur (ou à la lectrice) de s’emparer de cette preuve.
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